Ram, le chef-d'œuvre pop de Paul McCartney

Quelques mois après la séparation des Beatles et la sortie de son premier album solo, Paul McCartney prend le bélier par les cornes avec le radieux chef-d'œuvre pop Ram, sorti il y a tout juste 50 ans.

Paul McCartney est en plein désarroi au lendemain de la séparation officielle des Beatles, en avril 1970. À la douleur du déchirement s'est greffé un complexe embrouillamini juridico-financier qui débouchera sur des procès internes entre John, Paul, George et Ringo, avec dans le rôle du tourmenteur en chef Allen Klein, l’avocat qui renégocia largement à son avantage le contrat des Beatles. Retranché dans sa ferme écossaise du Kintyre, l’ancien Fab Four déprime autant qu'il fulmine. Ses seules planches de salut sont son épouse Linda, sa fille Mary qui vient de naître et, bien entendu, la musique. À l'automne 1970, un Paul McCartney barbu et (presque) anonyme embarque pour New York avec femme et enfants à bord du paquebot France. Lors de son séjour à Manhattan, le voyageur en transit entame la pré-production de son deuxième album solo. Paru six mois plus tôt, McCartney était une production minimaliste enregistrée sur un quatre-pistes dans sa résidence londonienne de Cavendish Avenue. Ce second effort sera son antithèse maximaliste, avec l’implication de musiciens de séances new-yorkais et la présence d'un grand orchestre dirigé par Phil Ramone.

Le matin du 17 mai 1971, les disquaires américains déposent dans leurs bacs des 33-tours et musicassettes aux tons jaunes bleutés. La pochette, un collage artisanal réalisé par Paul McCartney, immortalise l'ex-Beatle en compagnie d’un bélier (Ram dans la langue de Shakespeare). « J'ai pensé que c'était une idée cool car le bélier est un animal puissant et masculin. J'aimais aussi beaucoup l'idée de rentre-dedans qui lui est associée », explique McCartney à la presse. Quinze jours après le public américain, c'est au tour du reste du monde de découvrir les douze plages de Ram. “Dear Boy, Ram On”, “Long Haired Lady”, le carnavalesque “Monkberry Moon Delight” et surtout la suite “Uncle Albert/Admiral Halsey” s'attirent les faveurs instantanées des fans des deux côtés de l'Atlantique. Cependant, un autre titre de l’album provoque la foudre de John Lennon. Dans “Too Many People”, Paul McCartney chante : « Too many people preaching practices/Don't let them tell you what you wanna be/Too many people holding back/This is crazy and baby, it's not like me. » (« Trop de gens prêchent des modes de vie/Ne les laissez pas vous dire ce que vous voulez être/Trop de gens s'imposent des barrières/C'est dingue baby, mais je ne suis pas comme ça »). John Lennon répliquera peu de temps après avec le perfide “How Do You Sleep ?” dans l'album Imagine (extrait : « Le seul truc valable que tu as fait, c'est “Yesterday”), qui va jusqu'à parodier sournoisement la pochette de Ram en se photographiant avec un porc.

50 ans après sa sortie, Ram est aujourd'hui considéré comme un des sommets créatifs de la discographie de Paul McCartney. John Lennon reviendra même sur ses provocations en déclarant que les paroles d’“How Do You Sleep ?” s'adressaient d'avantage à lui-même qu'à son ancien camarade. En évoquant ce reboot en douceur de sa carrière solo, Paul McCartney déclare : « Ce disque était une aventure. Sur Ram, je cherchais sans arrêt des directions où je n'étais jamais allé auparavant... Il s'agit du premier disque où je me suis senti vraiment libéré. En travaillant avec de nouveaux musiciens, je pouvais me reposer sur eux en étant certain qu'ils m'amèneraient dans une nouvelle direction. Le contexte était aussi complètement différent : j'étais marié, je venais d'avoir un enfant, ce qui était une expérience nouvelle pour moi – c'était donc la naissance d'un « autre moi ». » Un alter-ego accompagné de son épouse, car Ram est officiellement accrédité à Paul & Linda McCartney. Un message quasi-subliminal lui est même adressé sur le côté droit de la pochette : « L.I.L.Y. », pour Linda I Love You.